Dans cet entretien avec Tucker Carlson (en anglais, mais Youtube propose une traduction automatique en bas à droite), l’économiste Richard Werner détricote la construction de notre système bancaire, lequel ressemble par maints aspects à une pyramide de Ponzi. Voici lesquels :
- Dépendance à la confiance :
- Comme dans une pyramide de Ponzi, le système bancaire repose fondamentalement sur la confiance des acteurs économiques. Les dépôts créés par les prêts (argent ex nihilo) n’ont de valeur que parce que les gens acceptent ces dépôts comme moyen de paiement. Si la confiance s’effondre (ex. : panique bancaire), le système peut vaciller, tout comme une pyramide de Ponzi s’écroule lorsque les nouveaux investisseurs cessent d’arriver.
- Croissance par endettement :
- Dans une pyramide de Ponzi, les rendements promis aux anciens investisseurs sont payés avec l’argent des nouveaux investisseurs. Dans le système bancaire, la création monétaire par le crédit repose sur l’émission de nouveaux prêts pour soutenir l’économie et rembourser les dettes existantes (intérêts inclus). Si la création de crédit s’arrête, le système peut se gripper, car les dettes ne peuvent plus être refinancées facilement.
- Fragilité structurelle :
- Werner souligne que les crises bancaires (comme celle du Japon dans les années 1990 ou la crise de 2008) révèlent la fragilité du système, où les actifs (prêts) peuvent perdre de la valeur si les emprunteurs ne remboursent pas. Cela rappelle la dynamique d’une pyramide, où l’arrêt des flux entrants expose l’insolvabilité du schéma.
- Concentration des bénéfices :
- Dans une pyramide de Ponzi, les organisateurs (au sommet) profitent le plus. Dans le système bancaire, les grandes banques et leurs actionnaires tirent des profits substantiels de la création monétaire (intérêts, frais), tandis que les risques (crises, défauts) sont souvent socialisés (sauvetages par l’État), ce que Werner critique comme une forme d’injustice systémique.
Voici une synthèse des arguments principaux de Richard Werner dans cet entretien :
Prédiction de la crise financière japonaise :
- Dans les années 1990, Werner, travaillant comme consultant pour la Banque du Japon, a identifié des anomalies dans les flux de capitaux japonais et les prix des terrains, qui atteignaient des niveaux absurdes (ex. : le jardin du Palais Impérial de Tokyo valait autant que tout l’immobilier de Californie). Il a conclu que ces phénomènes étaient liés à la création de crédit bancaire, un concept peu reconnu dans les modèles économiques traditionnels.
- En 1991, il a prédit une crise bancaire imminente et une récession majeure au Japon, contrairement aux prévisions optimistes des stratèges internationaux, en raison de la bulle spéculative sur les actifs (actions et immobilier) alimentée par le crédit bancaire.
La théorie de la création de crédit bancaire :
- Werner soutient que les banques ne sont pas de simples intermédiaires financiers (prenant des dépôts pour prêter), contrairement à ce qu’enseignent les théories économiques dominantes. Selon sa théorie de la création de crédit, les banques commerciales créent de l’argent ex nihilo lorsqu’elles accordent des prêts, ce qui augmente la masse monétaire sans transfert de fonds préexistants.
- Il a effectué un test empirique en 2014, confirmant que les banques créent de l’argent par un simple jeu d’écriture comptable, grâce à une exemption des règles sur les fonds des clients (client money rule), qui permet aux banques d’inclure les dépôts sur leur bilan.
Impact de l’utilisation du crédit bancaire :
- Werner distingue trois scénarios pour l’utilisation du crédit bancaire :
- Achats d’actifs (immobilier, actifs financiers): Cela alimente l’inflation des actifs et crée des cycles de boom et de krach, comme observé au Japon dans les années 1980 et 1990. Ces prêts ne contribuent pas au PIB, car ils impliquent des transferts de propriété sans création de valeur ajoutée.
- Consommation : Les prêts à la consommation augmentent le pouvoir d’achat sans accroître la production, ce qui génère de l’inflation des prix à la consommation (ex. : inflation post-2020 aux États-Unis).
- Investissements productifs : Les prêts pour les investissements des entreprises (nouvelles technologies, production) stimulent une croissance économique soutenue sans inflation, comme observé dans des économies à forte croissance (Japon post-guerre, Chine sous Deng Xiaoping).
Rôle des banques centrales et crises orchestrées :
- Werner argue que la Banque du Japon a intentionnellement créé la bulle des années 1980 et la récession prolongée qui a suivi, sous la pression des États-Unis, pour freiner la réussite économique japonaise. Il cite des preuves (témoignages, données) montrant que la crise était planifiée pour ouvrir l’économie japonaise aux investissements étrangers à bas prix.
- Il critique les banques centrales, comme la Réserve fédérale, pour manipuler le système bancaire afin de provoquer des cycles de boom et de krach, consolidant ainsi le pouvoir économique et politique. Les crises bancaires, comme celle de 2008, sont évitables grâce à des politiques comme l’assouplissement quantitatif (QE) qu’il a proposé dès 1995.
Proposition d’assouplissement quantitatif (QE ou Quantitative Easing) :
- Werner a introduit le concept de QE pour résoudre les crises bancaires sans coût pour la société :
- QE1 : La banque centrale achète les actifs non performants des banques à leur valeur nominale, restaurant leur solvabilité sans créer d’inflation.
- QE2 : La banque centrale achète des actifs performants auprès d’acteurs non bancaires, forçant les banques à créer du crédit pour stimuler l’économie.
- QE3 (Treasury QE): Les gouvernements peuvent emprunter directement auprès des banques locales pour créer du crédit, évitant les marchés obligataires internationaux.
- Il note que ces mesures, bien qu’efficaces (ex. : utilisées par la Fed en 2008), sont souvent évitées pour des raisons politiques, favorisant les intérêts des grandes banques.
Critique du système bancaire centralisé et CBDC :
- Werner dénonce la concentration du pouvoir bancaire via la réduction du nombre de banques locales, orchestrée par les banques centrales comme la BCE ou la Fed. Cela affaiblit les petites entreprises, qui dépendent des petites banques pour le crédit, et centralise le pouvoir économique.
- Il met en garde contre les monnaies numériques des banques centrales (CBDC), qui permettraient un contrôle centralisé total sur l’argent (via la programmabilité) et élimineraient les banques commerciales, revenant à un système de planification centralisée, à l’opposé du modèle décentralisé qui a permis la croissance de la Chine.
Conséquences politiques et sociales :
- Un système bancaire décentralisé (nombreuses petites banques) favorise une économie dynamique, des emplois, et une société plus démocratique, car il répartit le pouvoir économique. À l’inverse, un système centralisé concentre la richesse et le contrôle, affaiblissant la classe moyenne et renforçant le contrôle politique.
- Werner relie la centralisation bancaire à des tendances démographiques (migration vers les grandes villes, baisse de la natalité) et à une perte d’autonomie des communautés locales.
Censure et pressions :
- Après la publication de son livre Princes of the Yen(2001), un best-seller au Japon, Werner a fait face à des pressions importantes : annulations d’émissions télévisées, articles supprimés, et refus de publication en anglais par des éditeurs américains. Il a également reçu une visite d’un représentant du Département d’État américain, l’avertissant que la CIA le surveillait, probablement en raison de ses révélations sur la création de crédit et le rôle des banques centrales.
Perspectives pour les États-Unis :
- Werner prédit un déclin économique continu aux États-Unis si la centralisation bancaire se poursuit, avec moins de crédit pour les petites entreprises et une concentration accrue de la richesse. Il recommande la création de nombreuses petites banques locales et de banques publiques au niveau des États (comme à Dakota du Nord) pour stimuler une croissance équitable et durable.
- Il met en garde contre les CBDC, qui renforceraient le contrôle centralisé et limiteraient les libertés individuelles.
Le privilège des banques privées de créer de l’argent ex nihilo (création monétaire endogène) trouve ses racines dans l’évolution historique des systèmes bancaires et des cadres juridiques qui ont permis aux banques commerciales de jouer un rôle central dans l’économie. Voici une explication concise et structurée de ce processus, en m’appuyant sur les principes exposés par des économistes comme Richard Werner et l’histoire monétaire :
Origines historiques : l’évolution du système bancaire
- Époque des orfèvres (XVIIe siècle): Les orfèvres, qui gardaient l’or pour les clients, ont commencé à émettre des reçus (billets) représentant l’or déposé. Ils ont réalisé qu’ils pouvaient prêter plus de billets qu’ils n’avaient d’or en réserve, car peu de clients réclamaient leur or simultanément. Ce système de réserve fractionnaire a permis aux orfèvres de créer de la “monnaie” sous forme de billets, marquant les débuts de la création monétaire par les institutions privées.
- Émergence des banques privées : Au fil du temps, ces pratiques ont été formalisées par les premières banques privées, comme la Banque d’Amsterdam (1609) ou la Banque d’Angleterre (1694). Les banques ont commencé à émettre des prêts sous forme de dépôts ou de billets, créant ainsi de l’argent sans avoir besoin de détenir l’équivalent en or ou en argent.
Cadre juridique et exemption clé
- Exemption de la “client money rule”: Selon Richard Werner, les banques commerciales ont obtenu une exemption juridique cruciale, souvent appelée la “client money rule” (règle des fonds des clients). Cette exemption permet aux banques de traiter les dépôts créés par les prêts comme des actifs sur leur bilan, plutôt que comme des fonds appartenant aux clients. Lorsqu’une banque accorde un prêt, elle inscrit simultanément un dépôt (crédit) au nom du client, créant ainsi de l’argent sans transférer de fonds préexistants. Cette pratique, validée par les cadres légaux des systèmes bancaires modernes, est au cœur de la création monétaire.
- Rôle des chartes bancaires : Les gouvernements ont accordé des chartes ou licences aux banques privées, leur conférant le droit de fonctionner comme des institutions financières. Ces chartes, souvent négociées avec l’État, ont progressivement intégré la capacité des banques à créer de l’argent via le crédit, en échange de leur rôle dans le financement des besoins publics (ex. : prêts aux gouvernements, comme lors de la création de la Banque d’Angleterre).
. Rôle des banques centrales et de la régulation
- Légitimation par les banques centrales : Les banques centrales, comme la Banque d’Angleterre ou la Réserve fédérale (1913), ont été créées pour stabiliser le système bancaire et réguler la création monétaire. Cependant, elles ont entériné le système de réserve fractionnaire, permettant aux banques commerciales de créer de l’argent sous la supervision des autorités monétaires. Les réserves obligatoires (une fraction des dépôts que les banques doivent détenir auprès de la banque centrale) sont souvent minimes, amplifiant la capacité des banques à créer de l’argent.
- Abandon de l’étalon-or : Jusqu’au XXe siècle, la création monétaire était limitée par l’étalon-or, qui exigeait que la monnaie soit adossée à des réserves physiques. Avec l’abandon progressif de l’étalon-or (notamment après 1971 avec la fin des accords de Bretton Woods), les contraintes sur la création monétaire ont été levées, permettant aux banques de créer de l’argent sans limite physique, sous réserve des régulations.
Pouvoir politique et économique
- Influence des banques privées : Les banques privées ont historiquement exercé une influence significative sur les gouvernements, en finançant des guerres, des projets publics ou des campagnes politiques. En échange, elles ont obtenu des privilèges, comme le droit de créer de l’argent, souvent formalisé par des lois ou des accords implicites. Par exemple, la création de la Banque d’Angleterre a été motivée par le besoin de financer les guerres contre la France, en échange de quoi la banque a obtenu un monopole sur l’émission de billets.
- Lobbying et consolidation : Au fil des siècles, les grandes banques ont consolidé leur pouvoir en influençant les politiques monétaires et en réduisant la concurrence (ex. : diminution du nombre de petites banques locales). Cela a renforcé leur rôle central dans la création monétaire, souvent avec le soutien tacite des gouvernements qui dépendent du crédit bancaire pour financer leurs déficits.
Mécanisme moderne de création monétaire
- Aujourd’hui, environ 97 % de la masse monétaire dans les économies modernes (comme le Royaume-Uni ou les États-Unis) est constituée de dépôts bancaires créés par les prêts des banques commerciales, selon des études comme celles de la Banque d’Angleterre (2014). Ce privilège repose sur :
- La confiance dans le système : Les dépôts créés par les prêts sont acceptés comme moyen de paiement par les acteurs économiques.
- La régulation light : Les ratios de réserve sont faibles (souvent moins de 10 %), et les banques centrales soutiennent les banques en cas de crise via des prêts ou des politiques comme l’assouplissement quantitatif (QE).
- L’absence de concurrence publique : Les gouvernements n’émettent pas directement de monnaie sans dette, laissant ce rôle aux banques privées.
Critiques et implications (selon Werner)
- Richard Werner souligne que ce privilège donne aux banques un pouvoir immense sur l’économie, car elles décident où le crédit est alloué (spéculation, consommation ou investissement productif), influençant ainsi les cycles économiques, les inégalités et la répartition du pouvoir.
- Il critique l’absence de transparence sur ce mécanisme dans l’enseignement économique dominant, qui continue de promouvoir le mythe des banques comme simples intermédiaires.
- Werner propose de réformer le système en favorisant les petites banques locales et en limitant la centralisation du pouvoir bancaire pour démocratiser l’accès au crédit et stimuler une croissance économique équitable.
Werner relate une anecdote pas assez connue sur De Gaulle :
Sceptique envers la domination économique américaine et inquiet de l’inflation du dollar due à la création monétaire excessive (notamment pour financer la guerre du Vietnam et les dépenses domestiques), il doutait de la capacité des États-Unis à honorer la convertibilité du dollar en or. Il craignait que les dollars détenus par la France ne perdent de leur valeur si le système s’effondrait. En 1965, De Gaulle a ordonné que la France convertisse une partie importante de ses réserves en dollars en or physique. Il a envoyé des navires de la marine française, dont le croiseur Colbert, à New York pour rapatrier environ 150 tonnes d’or de la Réserve fédérale vers la Banque de France. Entre 1962 et 1966, la France a ainsi récupéré la majeure partie de ses réserves d’or, réduisant ses avoirs en dollars.
1971 : la convertibilité du dollar est “temporairement” suspendue…. …mais… la suspension dure encore !
La remarquable histoire des frères Warburg
À l’aube de la Première Guerre mondiale, Max Warburg, basé à Hambourg, dirigeait la banque familiale M. M. Warburg & Co. et était un conseiller influent du Kaiser Guillaume II en Allemagne, tandis que son frère Paul Warburg, émigré aux États-Unis, jouait un rôle clé dans la création de la Réserve fédérale américaine en 1913 et en fut un membre fondateur.
Cette situation, où deux frères occupaient des positions de premier plan dans les banques centrales de nations belligérantes (Allemagne et États-Unis) au moment où la guerre éclata en 1914, est présentée par Werner comme un exemple frappant des liens transnationaux entre élites financières, dépassant les rivalités nationales. Werner souligne que cette dualité illustre comment les grandes dynasties bancaires, comme les Warburg, ont pu influencer les politiques monétaires et économiques à une échelle mondiale, souvent au détriment des intérêts des populations ordinaires.
Il suggère que cette configuration a permis une coordination implicite ou une exploitation des conflits pour des gains financiers, bien que les preuves directes de telles intentions restent sujettes à débat et à interprétation. Cette anecdote s’aligne avec sa critique plus large du système bancaire, où la création monétaire par les banques privées sert des intérêts spécifiques plutôt que le bien commun.
L’histoire des frères Warburg, originaires d’une famille bancaire juive allemande remontant à 1798, met en lumière leur ascension : Max resta en Allemagne, conseillant le gouvernement impérial, tandis que Paul, naturalisé américain en 1911, contribua à moderniser le système bancaire américain. Werner utilise cette histoire pour appuyer son argument selon lequel les banques centrales et les institutions financières privées ont historiquement agi comme des acteurs transnationaux, parfois en contradiction avec les intérêts nationaux, un thème qu’il relie à sa proposition de décentraliser le système bancaire pour limiter ces concentrations de pouvoir.
