Jean Monnet, architecte de la vassalisation atlantiste

Éric Branca, historien spécialiste des relations franco-américaines, livre une analyse critique et souverainiste de la construction européenne, centrée sur Jean Monnet. Branca argue que l’UE n’est pas un projet d’émancipation européenne, mais une entreprise américaine pour ancrer le continent dans une dépendance économique, militaire et politique. 1. Introduction : L’Europe actuelle, fidèle à sa “source atlantique” Contexte contemporain : Branca ouvre sur la dépendance accrue de l’UE vis-à-vis des États-Unis post-élection de Trump (2024). Il cite trois “images fortes” : 27 juillet 2025 : Accord commercial UE-USA en Écosse (Ursula von der Leyen et Trump), qualifié de “capitulation” : ouverture des frontières aux produits US et engagement à exporter des capitaux européens vers l’Amérique. 18 août 2025 : Chefs d’État européens alignés à la Maison Blanche, contraints d’acheter des armes US pour aider l’Ukraine. 13 octobre 2025 : Sommet de Charm el-Cheikh (Égypte) sur la paix israélo-palestinienne, où Trump “dicte” aux leaders européens comme un “maître d’école”. Thèse introductive : Paraphrasant Jean Jaurès (“C’est en allant vers la mer que les fleuves restent fidèles à leurs sources”), Branca affirme que l’UE reste fidèle à sa “vraie source” américaine, non européenne. Trump, “dépourvu de surmoi”, dit “tout haut ce que ses prédécesseurs pensaient tout bas” : un “bon Européen est un Européen vassalisé”. Von der Leyen incarne cette acculturation, se félicitant d’investir en Amérique pour “maintenir leur avance technologique” (IA), au détriment de l’Europe. Problématique : Comment les Européens se sont-ils “acculturés à leur propre vassalisation” ? Réponse : en remontant 80 ans en arrière, à la fin de la Seconde Guerre mondiale. 2. Contexte historique : De la SDN à l’ONU, l’intérêt américain pour une Europe intégrée Différence entre 1918 et 1945 : Après 1914, les États européens sont “debout” (sauf Autriche-Hongrie) ; l’aide US est financière (dettes de guerre), non militaire (mythe de “La Fayette nous voilà”). Après 1945, l’Europe de l’Ouest est “par terre” sans les Américains ; les vaincus (Allemagne, Italie) sont passifs. L’Europe non communiste devient un “enjeu de sécurité” (vs. URSS) et commercial pour Washington. Rêve européen récupéré par les USA : Avant 1945, l’idée d’ ”États-Unis d’Europe” (Victor Hugo) est pacifiste et européenne (SDN, 1919, sans US). Post-1945, les Américains la “prennent en main” via l’ONU (1945), pour modeler l’Europe à leurs intérêts. 3. Portrait de Jean Monnet : L’ ”homme en avance” et son projet mondialiste Biographie : Né en 1888 (2 ans avant de Gaulle) à Cognac, fils d’exportateur riche (alcools vers UK/USA). Élevé sans “conscience dramatique de la nation” (contrairement à de Gaulle, né à Lille en 1890). À 16 ans, à la City de Londres : “milieu fermé socialement mais ouvert sur le monde” (Shanghai, Tokyo, New York) – ébauche de la “superclasse mondialisée”. Fortune précoce (18 ans) via échanges cognac-pelures (Canada-Révilion). Banquier à New York (Banque Lazard, 1908) ; réformé en 1914, spécialisé dans ventes d’armement US à Alliés. Influence clé : Pris sous coupe de Paul Warburg (cofondateur Fed, 1913), qui l’initie à la politique : “directoire mondial anglo-saxon” inspiré de Cecil Rhodes. Monnet consacre sa vie au “gouvernement mondial” ; l’Europe n’est qu’une “étape” (Mémoires, 1976 : “Les nations souveraines ne sont plus le cadre […] La communauté européenne n’est qu’une étape vers les formes d’organisation du monde de demain”). Méthode : Progressive (“spillover effect” : engrenage irréversible) pour éviter oppositions. Manipulation : “S’il faut du temps pour arriver au pouvoir, il en faut peu pour expliquer à ceux qui y sont comment sortir de leurs difficultés […] Si c’est au prix de l’effacement, je choisis l’ombre” (Mémoires). Profite des crises pour imposer la “disparition des structures étatiques” au profit du fédéralisme. 4. Les années de guerre : Monnet, conseiller de Roosevelt et architecte de l’intégration Rôle central : Dès 1939, via livre de Clarence Streit (proche, inspiré par Monnet) : Union Now (sous-titre : “Proposition américaine pour une fédération des grandes démocraties”). Manuel concret : 1re étape, union des 15 démocraties atlantiques (proto-OTAN, 1949) ; transfert de 5 prérogatives (citoyenneté, paix/guerre, commerce, monnaie, communications). 1940 – 1943 : Conseiller de Roosevelt (affaires européennes) ; patron du “système Prê-Lease” (Lend-Lease : prêts d’armes sans paiement immédiat, créant dettes). Propose fusion franco-britannique (16 juin 1940, avec Streit et John Foster Dulles – futur secrétaire d’État, lié à CIA via frère Allen). Échec (armistice Pétain), mais méthode révélée : crise = opportunité pour fédéralisme. Conflit naissant avec de Gaulle : 1re rencontre (juin 1940, Londres) ; de Gaulle refuse dettes du Pre-Lease (rembourse via empire). Monnet voit de Gaulle comme “os” ; télégramme à Roosevelt (1943) : “L’entente est impossible avec lui […] Il est un ennemi de la construction européenne […] Il doit être détruit”. Double jeu : soutient de Gaulle pour livraisons, mais complote (ex. : AMGOT, 1944). 5. Post-1945 : La matrice supranationale et l’influence US Départ de de Gaulle (1946) : Plus d’obstacle ; libido dominandi US et manœuvres de Monnet s’accélèrent. OTAN (1949) : Dispositif militaire + assemblée parlementaire (proto-État). CECA (1950−1951) : “Matrice” de l’UE. Déclaration Schuman (9 mai 1950) : paix franco-allemande via pooling charbon/acier, mais “1re étape de la fédération européenne”. Institutions : Haute Autorité (gouvernement supranational), Assemblée (proto-Parlement), Cour de justice (droit UE > droits nationaux – primat technocratique sur démocratie). Intérêt US : Imposer volonté à structure non élue, malléable (vs. gouvernements démocratiques). Collaboration : Élaborée avec Département d’État ; Monnet (24 mai 1950) : “Grâce à la CECA, collaboration étroite avec les USA”. Financements occultes : 50 – 100 M$ (1950−1959) via Comité américain pour une Europe unie (présidé par William Donovan, ex-OSS/CIA ; succédé par Allen Dulles). Contrôle anti-détournement. Témoignages : Schuman : “C’est Jean Monnet qui, dans un petit hôtel de la rue de Martignac, a ébauché […] l’idée de la CECA” (même du gouvernement). Pascal Fontaine (secrétaire Monnet) : Opération secrète (9 confidents) ; diplomates écartés car défendent souveraineté. Étienne Hirsch : “La sidérurgie n’a pas joué […] Notre préoccupation : disparition des souverainetés […] Institutions supranationales qui déborderaient l’acier/charbon”. Échec CED (1954) : Armée européenne sous commandement US ; torpillé par union sacrée autour de de Gaulle (PCF à extrême droite, comme référendum 2005). 6. Le “duel du siècle” : Résistance gaulliste et relance monnettienne Traité de Rome (1957) : Monnet (1955, Comité d’action pour les États-Unis d’Europe) : Marché commun sans “barrières douanières […] Pour toutes ces matières, il n’y a plus de frontières ni de nations”. De Gaulle (1958) l’infléchit en confédéral (unanimité vs. majorité qualifiée) ; Crise